Boris Mikhaïlov
« At Dusk », qui signifie au crépuscule, est une série réalisée à Kharkiv, la ville natale de Boris Mikhaïlov en Ukraine, un territoire en route vers son indépendance après la dislocation de l’Union soviétique au début des années 1990. Chaque tirage de cette série, teinté d’un lavis bleu cobalt, constitue davantage un récit personnel des événements plutôt qu’un document historique.
« Ce qui est important, c’est de représenter non pas un événement mais un rapport au monde. Or je pense que ce rapport devrait concerner tout le monde. Bien qu’une situation soit représentée à travers un point de vue personnel, elle concerne des processus sociaux qui sont communs, partagés »
Cette couleur bleue, crépusculaire, convoque les souvenirs traumatiques de son enfance, liés à la Seconde Guerre mondiale : « Le bleu incarne pour moi la couleur du blocus, de la famine, de la guerre… Je me rappelle encore les bombardements, des sirènes hurlantes, des projecteurs dans le ciel splendide et bleu marine ».
Souvent glaçantes, ses photographies panoramiques réalisées à l’aide d’un appareil photo « horizon » créent un langage visuel inhabituel et déroutant qui souligne cette nouvelle réalité sociale. Des scènes de rue, sombres et sans concession, montrent des habitants qui font la queue pour obtenir de la nourriture ou se serrent autour d’un feu de fortune. L’atmosphère pesante est renforcée par un cadrage serré, parfois saisi à hauteur de hanche ou de caméra surplombante, offrant un point de vue atypique, distancié et voyeur, sur les habitants et les paysages de Kharkiv.
Le titre suggère que les images ont été capturées au crépuscule, un moment de glissement où la lumière du jour laisse place à l’obscurité. Mikhaïlov y voit une métaphore élégiaque de la transition de l’Ukraine vers l’indépendance après des années de régime communiste. « At Dusk » dépasse les tropes conventionnels de la photographie documentaire, occupant une position hybride entre documentaire et travail conceptuel.
Cette puissante série n’est pas sans évoquer les conflits et la tragédie dans lesquels le peuple Ukrainien se trouve de nouveau plongé depuis le début des hostilités déclenchées par le pouvoir russe, le 24 février dernier.
La Maison Européenne de la Photographie rend hommage à Boris Mikhaïlov en lui consacrant sa plus grande rétrospective, du 7 septembre 2022 au 15 janvier 2023, avec plus de 800 images exposées et choisies en étroite collaboration avec le photographe.
« Ce qui est important n’est pas de savoir comment on montre quelque chose mais de le montrer au bon moment ».
Cette citation du photographe ukrainien né à Kharkiv dans l’une des régions actuellement les plus touchées par la guerre prend ici tout son sens. Extraites d’un ensemble intitulé Luriki (1971-1985), ces photographies aux couleurs éclatantes contrastent avec les images mornes et bleutées de la série « At Dusk » (1993). Entièrement colorisés à la main, ces portraits sont un mélange d’images trouvées dans des albums de famille et de portraits réalisés par l’artiste. Ici, le monde en couleur est factice, il représente la manière dont le régime soviétique, à travers la propagande, a voulu redorer le quotidien du peuple.
Les couleurs acidulées ne sont pas symbole des jours meilleurs mais pur artifice, décorum mensonger déployé par l’Union Soviétique. Les autres images qui composent cette série sont actuellement présentées à la Maison Européenne de la Photographie à l’occasion de la grande rétrospective consacrée au photographe jusqu’au 15 janvier 2023, Boris Mikhaïlov : Journal ukrainien.
Biographie de l’artiste
Né en 1938 à Kharkiv, une grande ville industrielle d’Ukraine, Boris Mikhaïlov vit et travaille entre l’Ukraine et l’Allemagne.
Considéré comme l’un des photographes les plus importants d’Europe de l’Est, il a influencé de façon significative l’art conceptuel et la photographie documentaire. Mikhaïlov commence à prendre des photographies en 1965, abandonnant sa carrière d’ingénieur.
En 1971, Boris Mikhaïlov est l’un des huit photographes à fonder le groupe Vremya, un collectif à l’origine de la Kharkiv School of Photography. Ses membres formalisent alors un mouvement dissident, né dans les années 1960, particulièrement rétif à l’esthétique et à l’idéologie du réalisme socialiste. Boris Mikhaïlov devient le chef de file de ce groupe dont les travaux sont rapidement censurés car considérés comme subversifs. Leur style se caractérise par la superposition des images, ou le recours à la colorisation. Ce groupe se dissout à la fin des années 1980.
Œuvres aux dimensions sociales, l’œuvre de Boris Mikhaïlov traduit avec poésie les tristes réalités éclipsées par une croissance économique rapide de l’ancien bloc communiste. Des occupants d’un monde post-soviétique laissé en perdition sont souvent représentées dans ses photographies. L’historien de l’art Urs Stahel décrit les séries photographiques « At Dusk » (1993), « On the Ground » (1991) et « Case History » (1997-8) comme un « requiem en trois parties sur la décadence de l’ordre social. » Ses séries vont au-delà des tropes conventionnels de la photographie documentaire, occupant une position hybride entre le document, le journal intime et un travail conceptuel.
La Cité internationale des arts a présenté le samedi 14 janvier une œuvre inédite de Boris Mikhaïlov In Search of Windows of Opportunity. Exodus, (2020-2021)