Tadao Ando : «J’ai dessiné un cercle dans le cercle»
L’élément structurant du projet de transformation de la Bourse de Commerce est un écho au principe fondamental du bâtiment : sa circularité. Tadao Ando a inséré son intervention au sein même de l’édifice, en dialogue avec ses éléments historiques, scrupuleusement restaurés.
À votre avis, quelle sera la réaction du public en découvrant le cylindre ?
Lorsqu’on pénètre dans la rotonde de la Bourse de Commerce, on est accueilli au sein de ce cylindre qui impressionne intensément. A cet instant, les visiteurs peuvent se demander où ils se trouvent. Ils sont saisis. J’ai voulu créer un lieu qui les questionne. Fait-on un pas en avant vers l’avenir ? En arrière vers le passé ? Ou bien reste-t-on plutôt dans le présent ? Selon moi, pour ce bâtiment, il n’y avait pas d’autres alternatives que ce cercle. A la Pointe de la Douane à Venise, j’ai inséré un cube au sein du bâtiment triangulaire existant. Le carré, le cercle … il s’agit de formes originelles. Ces formes premières ne sont pas si évidentes à appréhender. Pour être justes, elles doivent rester radicales.
Nous nous trouvons au sommet du cylindre que vous avez inscrit au centre de la Bourse de Commerce, sous une verrière de 35 mètres de hauteur, à 9 mètres au-dessus du sol. Comment avez-vous pensé cette forme ?
La première vision que j’ai eu de la Bourse de Commerce m’a immédiatement inspiré d’inscrire, au cœur de ce bâtiment des 18e et 19e siècles, une architecture dans l’architecture, qui resterait gravée dans l’esprit des hommes pour à nouveau deux ou trois siècles. J’ai dessiné un cercle dans le cercle, magnifié par une restauration exemplaire de l’existant. Cette forme emblématique c’est celle du mouvement artistique Gutaï et de l’artiste Jiro Yoshihara qui en était le chef de file. C’est aussi celle que Kitaro Nishida, le premier et le dernier philosophe japonais dessinait sans relâche, cercle après cercle. J’ai aspiré au caractère infini du cercle, à son potentiel sans limite.
Y a-t-il une formule magique du « béton Ando » ?
Le béton armé est né précisément en France aux alentours de 1898, si je me souviens bien. Un artisan a fait aboutir le procédé de fabrication du béton armé avec du fil de fer, du ciment et des gravillons. Le 20e siècle ouvrit l’ère du béton. Le béton armé est disponible partout dans le monde. C’est un défi d’utiliser ce matériau, aujourd’hui commun, complètement vulgarisé, pour créer une architecture qui n’existe nulle part ailleurs.
« Si mon béton arrive à inspirer aux gens un nouveau monde, mon rêve serait exaucé. »
Quel rôle joue la lumière dans la Rotonde de la Bourse de Commerce ?
La lumière se déplace en permanence au fil du temps. Au fur et à mesure de sa course tout au long de la journée, l’espace intérieur change constamment de visage. Une architecture, c’est quelque chose de vivant, d’animé. Pour lui insuffler une vie, il lui faut la présence humaine et la lumière en son sein. L’inclinaison du soleil, dont les rayons pénètrent à l’intérieur du bâtiment, est différente à chaque saison, comme nous le montre aussi le célèbre Panthéon de Rome, transpercé par la lumière jaillissant par l’oculus au sommet de son dôme. Ici, le diamètre du bâtiment est de 60 mètres ; la Rotonde en son sein mesure 38 mètres. Dans cet espace, j’aspirais à créer un univers. En y pénétrant, si les visiteurs ressentent l’existence de cet univers et prennent conscience qu’ils sont bien vivants, ce serait l’idéal : un lieu qui invite à la rencontre de soi.
« En y pénétrant, si les visiteurs ressentent l’existence de cet univers et prennent conscience qu’ils sont bien vivants, ce serait l’idéal : un lieu qui invite à la rencontre de soi. »
L’une des peintures du panorama du commerce représente le Japon, que vous inspire-t-elle ?
Les expositions universelles ont permis aux œuvres d’art japonaises d’arriver massivement en Occident, d’y être exposées, et en particulier les estampes. Ces estampes ont inspiré les peintres comme Van Gogh, Renoir ou Monet. Mais ils ont imaginé le Japon à leur façon car ils ne s’y sont jamais rendus. Monet avait imaginé son Japon bien à lui à travers de nombreux tableaux. À Giverny, le jardin soi-disant japonais de Monet, ne l’est pas vraiment. Et c’est précisément cet écart qui est intéressant. Monet a recréé son Japon imaginaire, un Japon rêvé. C’est ce qui en fait une œuvre. C’est cela l’art. Les peintres qui ont œuvré ici ont peint ce qu’ils s’imaginaient, ce qu’ils fantasmaient. À leur manière. Cette peinture est pour moi très étrange et assez singulière. Est-ce la Chine, est-ce le Japon ? Tout cela représente une Asie qui, à l’époque, devait constituer, dans l’imaginaire collectif, une seule et même entité, à la fois unique et indistincte, pour les Occidentaux. Je ne suppose qu’aucun d’entre eux n’avait jamais vu le Japon. C’est intéressant et assez amusant de voir comment ils l’imaginaient.