Tacita Dean
La Bourse de Commerce — Pinault Collection invite Tacita Dean à présenter une exposition constituée d’œuvres inédites, conçue en résonance avec la saison « Avant l’orage », qui se déployait dans le musée jusqu'au 18 septembre. Il s’agit de sa première exposition d’envergure dans une institution française depuis celle présentée au Musée d’Art moderne de la Ville de Paris en 2003. L’ensemble des œuvres ont été spécifiquement réalisées pour son exposition « Geography Biography ».
« Toutes les choses qui m’attirent sont sur le point de disparaître. » Tacita Dean
Tacita Dean utilise le film, la photographie, le dessin, le collage. Son œuvre se distingue par l’attention qu’elle porte au temps, par l’invitation qu’elle lance au hasard, avec l’incertitude pour corollaire. À la dématérialisation des images, à leur consommation frénétique, l’artiste répond par la lenteur, par l’œuvre de la main, en réinvestissant, avec une patience appliquée, la matérialité de ces médiums et l’amplitude de leurs formats. À la craie, au pinceau, avec la pellicule analogique, à travers la photographie argentique, elle invite à faire l’expérience physique de l’œuvre, jouant des échelles, entre le monumental et l’infime, l’éternel et l’éphémère.
Dans l’orbe de la Rotonde, après la forêt en mutation de Danh Vo, Tacita Dean inscrit un pavillon circulaire, dessine un cercle dans le cercle, comme une éclipse. Sous l’ample panorama peint qui s’étire au-dessus des visiteurs et qui dépeint les projets d’expansion commerciale et coloniale de la France sous la Troisième République, l’artiste inscrit une géographie plus personnelle. Geography Biography (2023), film 35mm – produit pour cette exposition à la Bourse de Commerce – présenté par l’artiste dans cet espace mis au noir, dessine une cartographie autobiographique : les images filmées dans diverses parties du monde s’incrustent dans des cartes postales du 20ee siècle de sa collection, pour offrir des paysages recomposés, faire revivre des temporalités lointaines et rêvées, des fragments de vie et de mémoire de l’artiste. Ainsi le film 35mm présenté sous forme de dyptique, selon l’artiste, devient « une manifestation très physique du temps : vingt-quatre images par seconde. Quand on travaille avec un matériau physique, on a affaire à un temps physique, non à quelque chose d’hermétique ou de discontinu ».
Dans la Galerie 2, le temps géologique croisait la fugacité d’une floraison : les temporalités contrastaient pour mieux nous aider à saisir l’ineffable. Un dessin inédit, The Wreck of Hope (2022), de plus de sept mètres de long, était présenté, reproduisant un glacier millénaire à la craie : la fragilité de la matière rend à la fois délicatement et radicalement perceptible celle de ce géant du fond des âges périclitant. Des photographies Sakura (Taki I) (2022) et Sakura (Jindai I) (2023) montraient des sakuras, prunus japonais, dont les branches sont étayées pour soutenir leurs floraisons éphémères, symbole de la renaissance cyclique de la vie. En retouchant ces monuments au crayon de couleur, l’artiste exposait autant leur vénérabilité que leur vulnérabilité. L’artiste montrait dans cette salle ces immortels en voie de disparition, avec la force et la tension qu’aucune image d’actualité ne saurait contenir.
Tacita Dean
Artiste en prise avec les notions de temps et de mémoire, Tacita Dean est née en 1965 à Canterbury (Royaume-Uni) et vit à Berlin (Allemagne) et à Los Angeles (États-Unis). Après une formation de peintre, elle travaille avec le dessin, la photo, le film. Depuis le début des années 1990, elle voyage à la recherche d’images et de sujets, elle convoque récits historiques ou fictionnels dans ses dessins, photographies argentiques et films 16 mm rompant avec toute approche académique. En faisant de ces supports les outils privilégiés de sa recherche mémorielle, elle mène également une réflexion sur les enjeux du médium analogique lui-même et ses défis de conservation.
Elle dit : « Je réalise que je ne sais pas ce qu’analogue signifie. Je me débats à essayer de trouver une définition. Analogue, me semble-t-il, est une description, en fait, de toutes les choses qui me tiennent à cœur. C’est un mot qui signifie proportion et ressemblance, et qui est, une représentation d’un objet qui ressemble à l’orignal ; pas une transcription ou une traduction mais un équivalent dans une forme parallèle : continuellement variable, mesurable et matérielle. Tout ce que l’on peut quantifier physiquement est analogue : la longueur, le poids, la tension, la pression. Les téléphones sont analogues ; les aiguilles d’une montre qui tourne en même temps que la rotation de la Terre sont analogues ; écrire est analogue ; dessiner est analogue. Même une rature est analogue. Penser aussi devient analogue quand cela est matérialisé dans une forme concrète ; quand cela est transmuté en lignes sur du papier ou en marques sur un tableau. C’est comme si mon état d’esprit était analogue quand je dessine : ma rêverie inconsciente se manifeste comme une impression sur la surface. »
Principalement reconnue pour ses films à l’atmosphère contemplative, souvent réalisés en plan séquence, l’œuvre de Tacita Dean est un véritable éloge de la lenteur. Ses œuvres sont conservées au sein de la Collection Pinault et ont été présentées pour la première fois en 2016 à l’occasion de l’exposition « Accrochage » à la Punta della Dogana, à Venise.
De décembre 2023 à mars 2024, Tacita Dean exposera au Museum of Contemporary Art (Sydney). Son travail a déjà fait l’objet d’expositions au Mudam (Luxembourg) en 2022, au J. Paul Getty Museum (Los Angeles) en 2021, au Kunstmuseum Basel en 2020, à EMMA (Espoo) en 2020, à la Glyptothèque Ny Carlsberg (Copenhague) et au Serralves Museum (Porto) en 2019, ainsi qu’à Londres – dans le cadre d’une trilogie d’expositions à la Royal Academy, la National Portrait Gallery et la National Gallery – en 2018, ou encore au Dia : Beacon (New York) en 2008.