Stan Douglas
Après la présentation de l’installation musicale et visuelle Offspring de Pierre Huyghe dans le cadre de l’exposition « Ouverture » du nouveau musée de Pinault Collection, l’installation vidéo du Canadien Stan Douglas était présentée dans le Studio de la Bourse de Commerce.
Le film de Stan Douglas Luanda-Kinshasa prend pour décor, soigneusement reconstitué, le légendaire studio d’enregistrement de la Columbia Records, tel qu’il était dans les années 1970. Connu de tous sous le nom de « The Church », installé dans une ancienne église arménienne, ce mythique studio newyorkais, qui a vu jouer Miles Davis et chanter Aretha Franklin, a accueilli quelques-uns des enregistrements les plus emblématiques de l’histoire de la musique contemporaine de 1949 à 1981.
Luanda-Kinshasa retrace un enregistrement musical fictif. Des musiciens improvisent ensemble un morceau dans un environnement visuel qui, depuis le style vestimentaire des protagonistes jusqu’au matériel d’enregistrement, contribue à recréer une atmosphère vintage et paradoxalement inclassable, intemporelle. Une remémoration décalée. Le film compose et recompose les montages de manière aléatoire pour offrir une boucle, presque hypnotique, de 6 heures de musique en immersion.
Le titre fait référence à deux événements historiques : le mythique combat de boxe entre Mohamed Ali et George Foreman à Kinshasa en 1971 et la libération de la capitale angolaise Luanda, en 1974-1975. Baignés dans l’imaginaire de ce mitan des seventies, entourés de fausses petites amies, de faux techniciens, de faux journalistes, les trois guitaristes, quatre percussionnistes, deux claviers et unique clarinettiste, incarnent leurs rôles avec une troublante et méticuleuse fidélité. Sans noms, sans mots, tout entier fictionnel, ce jam jazz funk recèle aussi une dimension politique. Douglas raconte qu’il s’est aussi inspiré d’une idée de Jacques Attali postulant que des formations musicales peuvent anticiper, porter une vision de nouvelles formations sociales.
Face à ce film, happé par le grand écran, le spectateur assiste, fasciné, à un moment qu’il pressent comme clé, dans les coulisses de l’histoire de la musique et pourtant fait face à une fiction, emporté dans un temps indéfini et subjectif, immergé dans un processus de composition presque infini.
L’artiste revient sur les racines africaines de la scène musicale newyorkaise des seventies. L’empreinte de l’afrobeat y est prégnante, avec un intérêt marqué pour les métissages musicaux. La virtuosité des musiciens, leur jeu à la fois individuel et collectif, devient palpable, jubilatoire tout au long de cette partition improvisée.
Stan Douglas est né à Vancouver en 1960, où il vit et travaille. Il réalise des oeuvres (films, photographies et installations) qui font voir certains lieux ou événements sous un nouveau jour. Il s’intéresse à l’aspect social du progrès dans les sociétés occidentales, en particulier aux philosophies utopistes, ainsi qu’à leurs effets de division sur les plans politique et économique. Son questionnement sur les possibilités structurelles du film et de la vidéo, appuyé par des trames narratives élaborées, a produit de nombreuses oeuvres d’art contemporain des plus avant-gardistes. Stan Douglas fait appel au genre des films d’Hollywood (y compris les films policiers et le western) et aux oeuvres littéraires classiques (plus particulièrement celles de Samuel Beckett, de Herman Melville et de Franz Kafka) pour créer les cadres contextuels de ses projets complexes, fruits d’une longue recherche.