« L'Arte Povera n'est pas minimal, il est radical. ». — Michelangelo Pistoletto
Michelangelo Pistoletto s'efforce de faire pénétrer la vie dans l'art. L'artiste délivre les secrets de ses œuvres exposé en ce moment dans l'exposition "Arte Povera".
À l’origine de votre pratique il y a la série « Quadri specchianti » (tableaux miroirs). Quel est son propos ?
La première œuvre réfléchissante que j’ai réalisée, Il presente – Uomo di schiena (Le Présent – L’Homme de dos), représente une silhouette de dos sur un fond noir réfléchissant. Au fil du temps, j’ai exploré différentes manières de traiter la toile, en cherchant à faire émerger une lumière qui semblerait provenir de la toile elle-même. J’ai expérimenté cela avec des fonds dorés ou argentés, mais c’est finalement en utilisant du noir peint et verni que j’ai eu la sensation, pour la première fois, de voir apparaître de la lumière au sein de l’œuvre. Lorsque j’ai commencé à aborder cette image comme un autoportrait, ma silhouette a semblé se détacher naturellement du fond. J’ai alors pris conscience que tout ce que je cherchais à capter devant moi se manifestait en réalité derrière cette silhouette. Pour approfondir cette possibilité qu’offrait la peinture, j’ai introduit l’utilisation du métal poli. Ce matériau m’a permis de fixer une silhouette qui reflétait parfaitement ce que je percevais dans l’œuvre. Il était essentiel qu’elle soit aussi précise et objective que celle révélée par la réflexion. À cet effet, seule la photographie pouvait répondre à cette exigence.
En 1969 et 1966, vous exposez dans votre atelier des « Ogetti in meno » (Objets en moins). Que représentent-ils ?
Les « Objets en moins » incarnent une rupture avec le principe du miroir. Le tableau-miroir était devenu mon symbole, l’emblème de mon style. Pourtant, je ne cherchais pas à avoir un style : je voulais simplement être utile d’un point de vue phénoménologique et représenter quelque chose qui existe pour chacun. Les « Objets en moins » suggèrent que l’existence d’une œuvre ne se définit pas uniquement par sa matérialité ou sa représentation visible, mais aussi par le fait que vous la connaissez. Même en son absence, elle existe en vous, portée par votre mémoire. La mémoire humaine est essentielle, car l’être humain est à la fois une machine physique et un moteur d’attraction mentale.
Accompagné par d’autres artistes, vous avez fait rouler l’œuvre Mappamondo (1966 -1968), une sphère de journaux, dans les rues de Turin. Pourquoi ce geste ?
J'ai ressenti le besoin de rassembler tous ces papiers de journaux, symboles de l’actualité, pour en faire une boule. Lorsque la boule était présentée dans l'ensemble des « Objets en moins », c'était la seule œuvre qui pouvait être déplacée. Alors je me suis dit : « Pourquoi ne pas la faire rouler à l’extérieur de mon atelier ? ». Je l'ai poussée dehors et, dans la rue, les gens se sont approchés et ont commencé à faire bouger la sphère eux-mêmes sans savoir que c'était une œuvre d'art. J'ai compris que la sphère, en elle-même, possédait le pouvoir de représentation du concept de « hasard ». C’est le hasard qui se manifeste. Alors, une sorte de compétition personnelle se met en place, où chacun tente de diriger le hasard vers un but. C'est pour cette raison que j’accorde beaucoup d'importance au sport, comme au football par exemple. Le hasard y occupe une place centrale, au cœur du terrain, et deux personnes s’affrontent, chacune cherchant à maîtriser ce hasard en sa faveur. Et finalement, qu'est-ce que la victoire ? La victoire n’est pas un acte participatif en soi, mais elle requiert la participation pour se manifester.
Dans cette série, vous réalisez le Metrocubo d’infinito en 1966. Quelle est sa signification ?
Dans l'exposition « Arte Povera », est présenté un un mètre cube physique constitué de six miroirs, dont la face réfléchissante est orientée vers l'intérieur, le tout maintenu fermé par une ficelle. Ce cube génère un effet de répétition infinie. Sa structure physique est essentielle : sans elle, le phénomène de multiplication à l'infini ne pourrait exister.Mais alors, qu'est-ce que le physique ? C'est précisément ce mètre cube : l'infini intouchable, moins une fraction tangible incarnée par le cube. C'est l'infini moins un.
Dans la Rotonde, un signe est tracé au sol : celui du Terzo Paradizo (Troisième paradis). Reprend-il cette notion d’infini ?
Dans cette œuvre, j'ai effectivement tracé dans du sable la formule de l'infini. Cependant, elle ne se limite plus à une simple ligne qui se croise pour former deux cercles, mais en devient une qui se croise deux fois pour créer trois cercles. Le cercle central représente un espace vide, un lieu d’attente où des éléments différents, comme le physique et l’immatériel, peuvent se rencontrer. Ce point de convergence ne symbolise pas seulement l’existence, mais aussi la réflexion que nous portons sur cette existence. C’est l’alliance de la physicalité et de la pensée : nous sommes des êtres doubles, à la fois physiques et pensants. À la fin, ce dessin s'évanouit, emporté par le vent qui déplace le sable. J’ai alors immédiatement pris une photo car elle, au moins, demeure. Elle permet de conserver une trace de ce que j’ai créé. La photo reste tandis que l'infini s’évanouit avec le sable.
Les QR Code possession présentés dans l’exposition sont une nouvelle étape de votre travail. Pourquoi cet intérêt porté à un objet dématérialisé ?
Les gens peuvent participer à l’œuvre si je leur donne la possibilité d’y entrer : les QR codes en sont un exemple. De ces tableaux résulte une intelligence artificielle qui répond à différentes questions : « Pouvez-vous écrire un texte sur les tableaux-miroirs de Pistoletto ? » ; « Qu'est-ce que la Vénus au chiffon ? » ; « Qu'est-ce que sont les « Objets en moins » ? » ; « Qu'est-ce que la Cita dell'arte ? ». À chaque fois, un texte parfait sort instantanément. Le sixième tableau propose : « Produisez une œuvre de Michelangelo Pistoletto. ». Ce à quoi l’intelligence artificielle répond : « Je ne peux pas répondre physiquement avec une œuvre, mais je peux vous raconter comment je pense que Pistoletto créerait une œuvre aujourd'hui ». Et elle décrit exactement l'œuvre que je suis en en train de réaliser en ce moment, avec l'intelligence artificielle.
Comment définiriez-vous l’Arte Povera ?
Dans une conférence publique que j'ai faite en Amérique il y a quelques années, j'ai dit : « Vous savez, ici en Amérique, vous avez eu le minimal art c'est-à-dire l'art purement minimal. L’Arte Povera n'est pas minimal, il est radical. ». Radical signifie que c'est, en italien, radici, les roots (racines), la semence qui est mise en terre, qui éclate et qui fait sortir l'arbre. Pour moi, c'est la phénoménologie de l'existant. Les artistes de l’Arte Povera ne se sont pas alliés pour un idéal ou pour l'exercice autour de certains éléments ou de certaines théories définies. Ils se sont trouvés devant une nécessité d'arriver à quelque chose d'essentiel, au-delà de tout ce qui est superflu. L'essentiel, ce n'est pas quelque chose que l’on perd.