« Je regarde et je réfléchis le monde dans sa dualité. » — Kimsooja
L'artiste sud-coréenne Kimsooja introduit sa carte blanche « To Breathe — Constellation » présentée dans le cadre de l'exposition « Le Monde comme il va ».
De quelle manière l’architecture de la Bourse de Commerce vous a-t-elle inspirée ?
Quand j’ai vu cet espace majestueux avec ce dôme, et cette fresque magnifique, j’ai été stupéfaite. J’ai choisi de placer un miroir sur le sol de cette rotonde afin d’agrandir le dôme en lui offrant une sorte de « double virtuel ».
Quelles sensations voulez-vous que le visiteur expérimente en s’avançant sur votre miroir ?
Je considère le miroir comme un autre tableau, qui vient faire une distinction entre soi et l’Autre, entre réalité et virtualité. J’invite les spectateurs à marcher dessus afin de prendre conscience de la matérialité de leur corps, et de penser à cette autre face d’eux-mêmes, qui s’exprime à travers toute la Rotonde.
Vos œuvres invitent à la méditation. Quelle place accordez-vous à la spiritualité dans votre travail ?
Je pense que l’on arrive à la spiritualité quand, dans sa vie, on en vient à chercher la vérité de la vie et de l’art. La façon dont je regarde le monde, et dont je le présente aux spectateurs, est une invitation à suivre ce chemin.
A Needle Woman est un autoportrait vidéo à travers quatre villes. Pourquoi avoir choisi ces mégalopoles ?
Au début, j’ai essayé de réaliser cette performance en marchant, mais je n’arrivais pas à trouver le bon moment pour filmer. Lorsque je suis arrivée dans le quartier de Shibuya, j’ai été submergée par la foule et toute cette humanité autour de moi. Je me suis donc arrêtée. J’ai planté mon corps dans l’immobilité et je me suis dit que c’était cela, la performance que je voulais réaliser.
Quand je me suis figée, j’ai ressenti une immense compassion envers l’humanité. Mon esprit était à la fois plein d’amour et totalement en paix. À la fin de la performance, j’ai pu voir la « lumière blanche » rayonner à travers toute cette vague humaine. C’était une expérience très spéciale pour moi. J’ai donc décidé de continuer, à travers le monde, et j’ai réalisé cette performance dans huit autres métropoles.
En quoi le concept de « bottari » infuse-t-il votre carte blanche ?
J’ai considéré l’espace de la Rotonde comme le corps d’une personne. Les pièces installées dans les vitrines tout autour sont en quelque sorte des constellations, ou comme des bras et des doigts humains. Un « bottari », c’est le minimum d’affaires qu’un homme emporte avec lui quand il se déplace ou qu’il est en exil, notamment en situation de migration, de guerre. Il s’agit donc d’un objet primordial, vital, chargé d’une forte signification sociale et politique. Le bottari est chargé de mémoire et d’histoire, mais il est aussi fortement lié au moment présent et au futur. Ces ballots contiennent une présence humaine. Mais récemment, j’ai également travaillé sur des jarres en terre, qui renferment du vide. J’ai eu le sentiment qu’il s’agissait d’un genre de bottari sous forme d’architecture.
Pourquoi vous intéresser autant au mouvement qu’à l’acte de non-faire ?
Je regarde et je réfléchis le monde dans sa dualité. J’essaie toujours de révéler cet autre côté de la réalité. Je poursuis ma pratique, en tant que peintre et en cousant. Coudre, c’est à la fois relier deux parties séparées, guérir, et constituer une unité. Cette façon de voir les choses s’est étendue à ma perception du monde, de la vie et de la mort. C’est un élément constant dans mon travail. Même en allant vers le non-faire, la non-fabrication, il y a toujours quelque chose qui est fait par ailleurs, par moi ou par les autres. Tandis que je me tenais dans la rue, immobile, à ne rien faire, tous les autres éléments autour de moi étaient en mouvement. En réalité, l’action et la non-action existent toujours ensemble.
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La carte blanche de l'artiste Kimsooja « To Breathe — Constellation » est présentée jusqu'au 23 septembre 2024 à la Bourse de Commerce