« Donner à voir les œuvres les plus fragiles et vulnérables. » Daniel Steegmann Mangrané
« Ma relation à la nature se définit avant tout par ma compréhension du fait que je suis moi-même la nature, nous sommes la nature. »
Artiste
Vous exposez vos œuvres aux côtés de celles de Cy Twombly. Que vous inspire ce dialogue avec une série de peintures iconiques ?
Je crois que Cy Twombly a été l’un des tous premiers artistes auxquels je me suis intéressé lorsque j’étais jeune, et pas encore étudiant en école d’art. À cette époque, j’étais très désireux de lire et consulter le moindre livre d’art que je pouvais trouver. Un jour, j’ai découvert un ouvrage sur Cy Twombly qui a immédiatement capté mon attention. J’ai été instantanément attiré, intéressé. Au fil des années, j’ai eu quelques rares occasions de voir ses œuvres, mais, jamais de rétrospective ou d’exposition de la sorte, me semble-t-il. Cet ensemble d’œuvres me rappelle des peintres comme Miró, qui avaient cette manière très délicate de traiter les signes. Parfois, certains disent que leurs peintures ou leurs « traces » ont un aspect enfantin ; cela ne l’est absolument pas à mes yeux car l’aboutissement est incroyablement sophistiqué et délicat. L’artiste ne se tient pas à une vision trop rigide de ces signes. Il leur laisse une grande liberté, et Cy Twombly en est un magnifique exemple avec ce signe qu’il répète de peinture en peinture et qui varie au gré des toiles. Au début, il y a un soleil, puis ce soleil devient un œil, qui lui-même devient un bateau ; ce dernier, à son tour, devient une paupière fermée, et ainsi de suite. Les signes fluctuent de peinture en peinture et ils ne sont jamais enfermés dans une signification rigide. Cela inspire beaucoup mon propre travail.
Vos œuvres montrent une fragilité, une instabilité. Quelle attention souhaitez-vous de la part des visiteurs ?
Je leur dirais simplement d’aller au-devant d’elles en gardant le cœur ouvert. Concernant la fragilité des œuvres, lorsqu’Emma Lavigne m’a appris que le projet entrecroisait écologie et noirceur des temps qui s’annoncent, je lui ai dit que la façon dont j’imaginais entrer en relation avec ses idées consistait à réaliser quelque chose qui soit le plus délicat, le plus vulnérable possible.
Mon idée pour rendre compte de cette fragilité du vivant consiste littéralement à donner à voir les œuvres les plus fragiles et vulnérables que je suis capable de réaliser.
Quel est votre rapport à la nature, au non-humain ?
Avant de vouloir devenir artiste, je caressais l’envie d’être biologiste. Je crois qu’aux alentours de mes quinze ans, j’ai réalisé que je ne serai jamais un bon biologiste parce que j’étais vraiment mauvais en mathématiques et en chimie. L’avantage, quand on est un artiste, c’est que l’on peut travailler sur n’importe quel sujet qui nous passionne. J’ai donc conservé un lien fort avec la nature, sans subir la souffrance inhérente aux sciences exactes. Ma relation à la nature se définit avant tout par ma compréhension du fait que je suis moi-même la nature, nous sommes toutes et tous la nature. Nous avons cru en l’idée, selon moi, extrêmement stupide, que la nature serait détachée de nous, que c’est une chose dont nous ne faisons pas partie, qui nous est extérieure. La nature est comme une toile de fond pour nos idées, nos actions, ou peut-être même un lieu où nous pouvons aller pour en extraire ce qui nous intéresse vraiment. Mais en vivant à travers ce paradigme de séparation, nous avons réussi à détruire le monde ;nous sommes aujourd’hui presque en passe de détruire la planète.
Je crois donc qu’il nous faut vraiment, et urgemment, établir un nouveau modèle qui reconnaisse que nous ne sommes pas détachés de la nature, mais que nous faisons simplement partie d’elle.
Vous avez tout juste fini l’installation, que ressentez-vous ?
Avant tout, c’est un luxe que de pouvoir créer ce dialogue avec Cy Twombly. Je suis très curieux de voir comment les visiteurs évoluent dans cet espace et comment ils interagissent avec les différentes œuvres. J’ai le sentiment qu’une impression de respiration est véhiculée ici car ces œuvres, d’une certaine façon, vous invitent vraiment à plonger en elles, à les observer de très près. Comme si vous deveniez minuscule et que vous parcouriez la découpe de la branche puis, après ce moment d’attention, que vous vous en détachiez et replongiez dans l’ensemble avant de vous concentrer de nouveau sur l’une des peintures …Concentration et expansion se succèdent, ici. Je crois que les visiteurs seront capables d’y passer beaucoup de temps s’ils le souhaitent.
Comment utilisez-vous la lumière dans cette installation ?
Ce sont juste des filaments de LED qui vont du sol au plafond et qui réagissent à de nombreuses choses : à la présence du public, aux sons créés par l’afflux de visiteurs qui a lieu ici par moments. Mais leur réaction évolue aussi en fonction des variations météorologiques. Par exemple, s’il fait très froid, leur réaction est plus vive. S’il fait plus chaud, comme ce sera le cas dans quelques mois, ils seront plus indolents. Ainsi, de la même façon que la météo agit sur nous, elle agit également sur ces lignes et leur comportement. Il s’agit aussi d’un moyen de relier l’intérieur du musée avec l’extérieur, et de donner à l’exposition la possibilité d’avoir, en quelque sorte, sa propre existence, qui échappe à mon contrôle, car j’ignore quel temps il fera demain.
Que vous inspire le titre « Avant l’orage » ? Quel est l’orage qui menace, selon vous ?
L’orage qui menace vraiment est celui incarné par le changement climatique. Et, finalement, ce terme est une façon très superficielle d’exprimer la réalité. Peut-être est-ce très ambitieux à dire, mais c’est profondément sincère : avec mon travail, j’espère vraiment que les gens pourront comprendre la nature et interagir différemment avec elle. À travers l’ensemble de mes œuvres, de mes actions quotidiennes et de mes paroles, j’essaye de transmettre l’idée qu’il nous faut réellement changer le modèle au sein duquel nous évoluons et commencer à comprendre différemment le monde.
De quelle saison êtes-vous le plus en attente dans l’année ?
J’ai vécu au Brésil ces dix-huit dernières années et les saisons ne diffèrent pas aussi nettement qu’ici. C’est donc une chose qui m’a beaucoup manquée. Après ces années passées là-bas, je peux à présent vraiment voir la différence entre l’été et l’hiver. Mais cela m’était totalement impossible lorsque j’y suis arrivé. Je proposais d’aller à la plage au milieu de l’hiver, on me répondait « Mais c’est l’hiver !» et je répondais « Mais il fait 27 degrés, voyons !». Je vais désormais passer une année à Barcelone. J’y suis depuis Noël dernier, et j’ai vraiment hâte de connaître à nouveau les quatre saisons. Je dirais donc que je me réjouis vraiment de les vivre.