« C’est la promesse d’un monde possible » Philippe Parreno
« C’est une chose qui existe sans qu’on décide d’aller la visiter. L’exposition pour moi c’est une décision « on va voir une exposition ». Là, la chose existe sans qu’on ait décidé d’aller la voir. » Philippe Parreno
Quelle œuvre présentez-vous à la Bourse de Commerce et pourquoi celle-là ?
Cette pièce qu’on montre, ce travail, c’est Le Mont Analogue. Pourquoi je ne sais pas ? pourquoi celle-ci plutôt qu’une autre ? Celle-ci elle était développée, elle a existé sous différentes formes, c’est quelque chose que j’avais faite il y a un moment déjà pour la première rétrospective que j’avais eu au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, en 2001 je crois. C’était vraiment pensé comme un film littéralement sans pellicule, puisqu’il n’y a pas de data sinon ce code et pas de player vidéo. C’est l’encodage d’un texte de René Daumale, qui s’appelle le Mont Analogue.
L’idée au départ était de faire un film, un film de cinéma et de reprendre à la lettre le roman de Daumale puisque dans ce roman il raconte l’histoire de personnes qui se retrouvent dans la perspective de retrouver ensemble une île avec une montage à son sommet qui serait tellement importante et tellement haute, que les rayons de soleil sont courbés et qu’elle reste invisible à notre regard. Et cette quête de ces personnages reste inachevée, car Daumale est mort en écrivant le roman ; les personnages commencent à gravir, d’abord ils trouvent l’île, et commencent à gravir la montagne et plus ils vont commencer à monter plus ils vont rêver il me semble. C’est vraiment un livre sur l’utopie, sur les utopies, sur le collectif, et sur son échec. C’était cette idée de l’auteur, ou du co-auteur, ou du groupe qui rêve ensemble. Et donc du projet commun qui l’emporte sur le singulier. C’est des questions qui me travaillaient.
Et j’avais voulu faire ce film, produire une expédition, qui aurait consisté à aller chercher cet objet poétique. Prendre la fiction comme une carte du réel. Et essayer d’explorer cette montagne, et essayer de la trouver. Et le film aurait été le film de cette expédition poétique. On prend un texte et on va vraiment chercher la réalité que le texte peut imaginer. Le film ne s’est pas fait, et à la fin j’ai montré juste l’adaptation littérale du texte en couleur plusieurs fois dans des contextes assez différents. Mais toujours comme ça projeté, soit sur un écran soit sur un mur.
Et ici quand on a commencé à travailler, il y avait cette tour. On s’est dit « tiens ce serait peut-être intéressé d’adapter ce travail », d’adapter ce projet à la Colonne Médicis. La Colonne m’intéressait parce qu’il y avait cette idée de Nostradamus, l’idée de cosmologie, un truc qui serait visible en dehors même des horaires d’ouverture, quelque chose qui puisse irradier, une espèce de message. Même s’il est incompréhensible, peu importe, il y a quelque chose qui parle tout le temps. Qu’on comprenne ou qu’on entende, peu importe, mais ça parle. Puis est arrivée la métaphore du phare. C’est arrivé comme ça, avec une ampoule qu’on a dû fabriquer pour ça. Et un nouveau séquencier qu’on a produit, un nouvel encodage.
« La Colonne m’intéressait parce qu’il y avait cette idée de Nostradamus, l’idée de cosmologie, un truc qui serait visible en dehors même des horaires d’ouverture, quelque chose qui puisse irradier, une espèce de message. »
Le Mont Analogue n’est pas la seule de vos œuvres à utiliser l’intermittence de la lumière, est-ce une obsession ?
Au départ ce n’était pas aussi littéral. Dans le rapport stochastique, de la chose qui est là et qui n’est plus là. Le clignotement c’était vraiment ça. Le « on » et le « off ». Précisément, la production d’une forme c’est aussi une production de sa disparition. L’apparition et la disparition d’une forme, c’est les deux aspects d’un même travail. Ce clignotement, il émet, il devient lui-même un code et ce code devient un langage. Après il y a l’idée -un peu de science-fiction - qu’un langage puisse être une couleur, une communication possible autre que la sémantique humaine.
Ce livre parle de monde parallèle, de réalité invisible. Ici depuis la Bourse de Commerce, quel monde tentez-vous d’atteindre ?
C’est une chose qui existe sans qu’on décide d’aller la visiter. L’exposition pour moi c’est une décision « on va voir une exposition ». Là, la chose existe sans qu’on ait décidé d’aller la voir. Donc je trouve que ça marchait plutôt bien par rapport au texte de Daumale. C’est juste une adaptation d’un roman assez radical. C’est la promesse d’un monde possible. Et ce serait intéressant qu’après on puisse aller lire le livre, de revenir après au texte.
« C’est la promesse d’un monde possible. »