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Artiste, réalisateur, scénariste, musicien, acteur, militant des droits homosexuels, Derek Jarman (1942–1994) est une des figures qui a marqué de son empreinte la culture britannique punk mais aussi européenne. En 1986, il acquiert « Prospect Cottage », vieille cabane de pêcheur construite sur une plage de galets, à Dungeness, sur la côte sud du Kent, entre la Manche et l’estuaire de la Tamise. Véritable bout du monde, cette extrémité sud-ouest de l’Angleterre est une terre hostile, soumise aux brûlures des embruns et du soleil. La présence d’une centrale nucléaire et les restes enfouis de la Seconde Guerre mondiale conquièrent définitivement le cinéaste excentrique, qui voit dans cette désolation un défi à la survie.
La végétation qu’il choisit d’y planter rassemble des espèces endémiques coriaces, adaptées à ces conditions éprouvantes : ajonc, lilas d’Espagne, valériane rouge, santoline, immortelle des dunes, pavot de Californie, chou maritime, chardons, lavande, genêt, sauge, aromates. Une flore résistante, alors même que l’artiste, atteint du SIDA, voit son système immunitaire s’effondrer. « Le jardin a été pour moi une thérapie et une pharmacopée » confie-t-il, consignant dans un journal de bord intitulé Modern Nature le soin qu’il y porte quotidiennement. Dans son film The Garden, 1991, certains plans tournés dans son jardin le transfigure en un éden initiatique. À rebours avec l’art des jardin à l’anglaise du 18ee siècle, bien que Jarman a été inspiré par la peinture notamment de Constable et des paysagistes anglais, jardin des plaisirs, avec les apparitions solaires de son amie et égérie Tilda Swinton, « Prospect Cottage » possède aussi l’aura des sanctuaires.
Ses parterres de pierres circulaires transposent, en version miniature, les sites mégalithiques anglais. Fichés dans le sol, les pieux et traverses qui servent de tuteurs évoquent aussi des stèles funéraires. Derek Jarman y a enterré avant de mourir certaines pellicules de ses films. Il surnomme avec humour ce qui représente pour lui qui se sait condamné son dernier paradis, Prospect Cottage, alliance de l’anarchie et du romantisme, des mauvaises herbes et des floraisons enchanteresses, de l’ombre et de la lumière en un clair-obscur qui évoque la peinture de Caravage auquel il consacra un film.
Tel qu’il l’écrit : « The world paradise is derived from ancient Persian ’a green place’. Paradise haunts gardens, and some gardens are paradises. Mine is one of them. “[…] O Paradise, my garden dressed in light, you dissolve in the night” ».
Tacita Dean s’est impliquée activement dans la sauvegarde du lieu après la mort de Derek Jarman.