Journiac / Wilson / Levine / Sherman / Prince / Lawler

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Journiac / Wilson / Levine / Sherman / Prince / Lawler

Galerie 3 - Vue d'exposition _ Lawler, Prince

C’est en 1977 que le critique Douglas Crimp donne son nom à la « Picture Generation », dont font partie Cindy Sherman, Louise Lawler, Richard Prince et Sherrie Levine. Dans leurs recherches, l’image photographique n’est plus seulement un résultat mais l’étape d’un processus critique faisant intervenir des gestes tels que l’appropriation, la mise en scène, le recadrage ou la citation.

Chez Martha Wilson, pionnière de l’art féministe aux Etats-Unis, et en France chez Michel Journiac, la photographie devient une arme dans la lutte contre les stéréotypes qu’elle a, dans d’autres contextes, contribué à établir. Sous forme d’installations photographiques et non plus d’images autonomes, ces œuvres témoignent d’un travail expérimental, d’une investigation de notre lecture des images.  Michel Journiac, Louise Lawler, Richard Prince, Sherrie Levine, Cindy Sherman et Martha Wilson rompent avec l’usage de la photographie comme simple enregistrement du réel. L’image photographique n’a plus valeur de preuve. Ainsi libérée, elle « fictionne », brouille les notions d’identité, s’ouvre de nouveaux questionnements sur l’art, le genre, l’identité.

Michel Journiac

Né à Paris en 1935 et mort en 1995, Michel Journiac est l’un des inventeurs de l’art corporel. A la fois poétique et subversif, son œuvre déploie une réflexion critique sur nos valeurs et usages sociaux par une pratique de la performance et de la photographie. Entré de manière spectaculaire et provocatrice dans le monde de l’art avec sa Messe pour un corps (1969), Journiac distribue de fausses hosties faites de boudin réalisé avec son propre sang. Ses oeuvres et ses actions visent à renverser les rituels conditionnant les corps en objets modelables à souhait par la société. Le travestissement apparaît comme un moyen pour lui de remettre en question l’identité, les rituels et les codes qui conditionnent les corps et les individus.

En 1974, il se travestit pour vivre une journée de la vie d’une femme et accomplir ses tâches quotidiennes : 24 heures de la vie d’une femme ordinaire fait un usage novateur de l’image photographique. Divisée en deux sous-séries, Réalités et Phantasmes, l’oeuvre rend compte d’une « action photographique » en jouant de l’esthétique du roman-photo, la première série montre une « bourgeoise » qui tente de s’émanciper par le travail, tout en s’astreignant aux tâches ménagères. La seconde donne à voir les fantasmes - rêves ou cauchemars - que cette femme ordinaire peut nourrir dans le secret de son quotidien. Parodiant les clichés véhiculés par les magazines, la TV, le cinéma, Journiac surjoue ces gestes banals, stéréotypés, caricaturant le rôle de la femme dans les années 1970, encore asservie au foyer et à son mari. Au-delà du travestissement parodique, Michel Journiac construit une image transgenre, manifeste pour un corps remettant en cause la norme et mettant en avant diverses beautés, de la prostituée à la femme d’intérieur.

Martha Wilson

Martha Wilson, artiste féministe new-yorkaise née en 1947, pionnière de la performance, prête dans les années 1970 son corps grimé à une galerie de personnages subversifs. Se mettant en scène dans photographies et vidéos, elle emprunte les identités pour remettre en cause les modèles imposés aux femmes. En 1976, elle créé DISBAND, groupe d’artistes new-yorkaises actif de 1978 à 1982, qui produit de la musique en criant et piétinant le sol, estompant la limite entre concert et performance. Que veulent les femmes ? Ou plutôt, comment la société façonne t-elle ce qu’elle veulent? Martha Wilson examine la façon dont elles sont censées apparaître dans la sphère publique et celle dont sont apprises ces conventions.

Dans les séries « Posturing » et « Posturing: Age Transformation » (1972-1973), elle expérimente d’autres subjectivités que la sienne en incarnant des galeries de caractères aux prises avec les stéréotypes de genre et d’âge. Recueils d’« expériences de personnalité », elles livrent des portraits d’elle-même comme un(e) autre tentant d’être ce qu’elle est : une femme essayant de vivre l’intériorité d’un homme qui tenterait de ressembler à une femme ; « une femme de vingt-cinq ans essayant de ressembler à une femme de cinquante ans essayant d’avoir l’air d’avoir vingt-cinq ans. » A Portfolio of Models (1974), ensemble de six photos noir et blanc, représente La Femme au foyer, La Déesse, L’Ouvrière, La Professionnelle, La Lesbienne, La Terre-Mère : « Ce sont là les modèles que la société m’offre. […] Ne reste qu’à être artiste. » L’oeuvre de Martha Wilson est présente dans les collections d’institutions telles que le MoMA, le Whitney Museum of American Art, le Guggenheim de New York. 

 

Sherrie Levine

Sherrie Levine, née en 1947, est l’une des figures de la « Pictures Generation ». Au tournant des années 1970‑1980, ce courant a en commun l’appropriation, le réemploi d’images, dans une perspective critique des valeurs de l’art. Faisant siennes des photographies, peintures et sculptures existantes, Levine se désintéresse de la virtuosité, pour interroger les postulats d’unicité, d’authenticité, d’originalité, bases de la monétisation de l’œuvre d’art, de sa valeur. Exposant des dessins sur papier millimétré et remarquant l’intérêt porté par les visiteurs au trait plus qu’à l’idée, elle abandonne un médium dont le pouvoir de séduction « détourne de ce que l’art peut accomplir de plus important », au profit de la photographie.Elle produit dès lors des séries intitulées « After » suivi du nom de l’artiste utilisé, revendiquant l’emprunt comme mode créateur. After, « d’après » et « après », dévoile aussi l’angoisse d’arriver trop tard, après les découvertes et les révolutions.

Féministe, Levine ne reproduit que les œuvres d’hommes, pour dénoncer autant que pour déjouer la domination masculine de l’art, établie sur l’idée de maîtrise d’autorité et de génie. En 1980, elle dit espérer que « dans [s]es photographies de photographies adviendra une paix fragile entre [s]on attirance pour ces idéaux […] et [s]on envie de n’en pas avoir, pas plus que d’attaches d’aucun ordre. » En 1981, After Walker Evans, 22 clichés de clichés réalisés entre 1935 et 1938, réactive leur pouvoir visuel, comme en 2012 les 18 tirages d’After August Sander, photographies de portraits de l’artiste allemand.

 

Cindy Sherman

Cindy Sherman, née en 1954, vit et travaille à New York. Elle débute en peinture, avant de trouver dans la photographie sa langue d’élection. Sa série photographique, « Untitled Film Stills », la met en scène, à partir de 1977, à la manière des clichés de stars des années 1950-1960, se jouant de l’archétype de la femme fatale. Composé de 69 images et autant de personnages, l’ensemble questionne les stéréotypes féminins véhiculés par et pour les hommes. Ménagère à la poitrine saillante, étudiante ou libraire en équilibre, ténébreuse allumant sa cigarette du bout des lèvres, autostoppeuse esseulée… Large est la palette ; pourtant, chaque fois, la même femme-objet sexuelle. Empruntant à l’esthétique des films stills – photographies de tournages – ces oeuvres isolent la femme telle une icône tendue au regard.
Réemployant l’esthétique du noir et blanc, Sherman découpe des plans tels ceux du néo-réalisme italien, d’Hitchcock, des séries B.

Modèle-photographe, sujet et objet, l’artiste instaure une distance avec la représentation, donnant à voir, en chaque scène, le regard machiste qui la crée. À force de fards et de costumes, elle donne corps à une grinçante comédie humaine, qui baigne d’un jour cru la construction des identités. 

 

Richard Prince

Né en 1949, Richard Prince s’approprie en série les images mass-médias, issues de la publicité et de l’Entertainment des années 1970. Il redéfinit les concepts de paternité, de fortune critique et de « mythification » de l’œuvre d’art. Sa production de dessins, de peintures, de photographies et d’installations, explore le rôle que jouent les subcultures et les modes d’expression vernaculaires dans la définition de l’identité américaine.

À travers une approche empreinte d’ironie, l’artiste recueille et raconte les mythes, les symboles et l’imaginaire américain : des femmes, poitrine dénudée, juchées sur des Harley Davidson, des pin-up de Hollywood dans des voitures d’époque, des bandes dessinées inspirées des magazines Playboy ou The New Yorker, jusqu’aux séduisantes – mais inquiétantes – infirmières en blouse et calot de la série « Nurse ». Parmi ces items, Richard Prince s’approprie la campagne publicitaire d’une emblématique marque de cigarettes des années 1960, qui met en scène un cowboy viril maître d’une nature domestiquée : la rephotographie d’une photographie publicitaire devient alors une œuvre à part entière qui dissèque le rêve américain.

Louise Lawler

Née en 1947, Louise Lawler débute en 1978 en présentant dans une galerie new‑yorkaise une peinture représentant un cheval, datée de 1883. Littéralement transposée par le geste de l’artiste dans le contexte d’une galerie, cette oeuvre conduit à s’interroger sur les dynamiques économiques et sociales qui déterminent le statut de l’oeuvre d’art et sa trajectoire.

Capturant des oeuvres dans leur contexte d’exposition, le regard de Lawler photographe joue sur la valeur ajoutée par le cadrage, la propriété, la reproduction. Sa démarche se rattache au mouvement simulationniste, dont elle est l’une des figures de proue avec Barbara Kruger et Jeff Koons. La série « Helms Amendment » (1989) réagit au vote du Sénat des États-Unis en faveur de l’amendement qui, en 1987, refuse d’allouer des fonds pour l’éducation, la distribution de matériel et la prévention contre le sida sous le prétexte de ne pas encourager l’homosexualité. 

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