« J'envisage l'art comme un temple, un lieu où les personnes vont, se rencontrent avec espoir, avec désir » — Pier Paolo Calzolari
Dans le travail de Pier Paolo Calzolari, les mots et les allusions spirituelles côtoient les machines réfrigérantes. L'artiste exposé en ce moment à la Bourse de Commerce partage sa vision de l'art et ses pensées poétiques à l'occasion d'une interview.
« La Casa ideale, c’était une nécessité, un rêve »
Pouvez-vous nous présenter votre installation Casa ideale ? Que symbolise cette « maison idéale » ?
La Casa ideale, c’était une nécessité, un rêve. La nécessité d'avoir un endroit structuré autour des désirs et des idées que j’avais à l’époque, mais qui puisse aussi accueillir ceux des autres. J'ai voulu construire cet espace de liberté, un peu comme une maison, où mes idéaux pouvaient être l’hôte de mes pensées, et de celles des autres.
Pour vous les mots ont une importance, pouvez-vous nous parler de votre lien avec la poésie ?
J'aime beaucoup la poésie, celle des autres, mais aussi la mienne. Je crois que, avec le temps, une œuvre d’art survit seulement si elle a une poésie intérieure, une vie intérieure.
La glace est un élément que vous utilisez souvent dans vos œuvres, d'où cela vient-il ?
Quand j’étais enfant et que je vivais à Venise, j'étais hypnotisé par la Riva degli Schiavoni [ndlr : front de mer situé à Venise]. Je regardais les balcons avec des masses de pietra de Istria, une pierre très blanche que l’on trouve à Venise. Et j'ai été ébloui par le blanc de la lumière du soleil se reflétant sur la lagune, qui changeait constamment. Très naïvement, j’ai essayé de le reproduire avec mes pinceaux. Mais j'ai compris que c’était impossible, que la peinture était inadéquate. Plus tard, je me suis particulièrement intéressé au blanc. Je cherchais un blanc autonome, qui s’est finalement formé tout seul, sans mon diktat. J'ai alors commencé à utiliser la glace qui avait ces qualités d'être absolue, intouchée.
Dans cette pièce, il y a des machines qui produisent du froid. Pour vous, l'Arte Povera est-il une question de technique et non de technologie ?
Dans ma salle, vous pouvez voir des œuvres qui utilisent des moteurs réfrigérants, les mêmes que vous trouvez dans votre frigo. Le principe est très simple : le passage du liquide au gaz provoque le froid. C'est technique, mais ce n’est pas technologique. J'ai plutôt un intérêt pour l’alchimie, la physique et les mathématiques appliquées au réel.
À travers ce principe simple de l'alchimie, y-a-t-il une certaine idée de non-modernité ?
Mais ce qui est sûr, c'est que l’alchimie est la base de la science. C’est naïf et empirique. Les progrès de la recherche que nous faisons maintenant nous paraîtra très simples dans 200 ans. Aujourd’hui, certains craignent l’intelligence artificielle, ça me fait rire. C’est déjà tellement utilisé à un niveau très efficace, parfois trop efficace.
Vos œuvres ne sont pas des objets mais sont-elles des situations que l'on traverse ?
Ce que j’aimerais, c’est que mon espace agisse sur les personnes, par les objets. J'envisage l'art comme un temple, un lieu où les personnes vont, se rencontrent avec espoir, avec désir, comme une expérience collective. Et ce passage laisse des traces, psychologiques, physiques... Des traces de pensées, de désirs qui restent dans l’air. On peut les sentir comme des odeurs. C'est ça ma vision. Ce n’est pas la différenciation des objets, mais la différenciation des hommes, des personnes.
Comment définiriez-vous l’Arte Povera ?
L’Arte Povera c’est une définition choisie par le critique et curateur, Germano Celant. Mais l’idée de pauvreté, c’est autre chose. Il ne s'agit pas de pauvreté matérielle. Selon moi l’art « pauvre » n'a de sens que si l'on évoque San Francesco [Saint François d'Assise], un philosophe très important, qui a commencé à dire que l’homme n’était pas le centre du monde. Donc, à nier, pour la première fois, un certain état de l’homme. Il a essayé d’analyser les choses dans une vision horizontale du monde. Une vision dans laquelle une feuille a des droits, une odeur, une vie. Donc, nous devons vivre avec elle.
Ce n’était pas seulement ma vision, Emilio Prini et d’autres artiste de l'Arte Povera avaient la même. Et cette « constellation » d'artistes, réunis par différentes questions (politiques, culturelles etc.) essayait de construire une nouvelle vision du monde en travaillant avec une vue horizontale, polydémocratique ; et en intégrant le passé, le présent et une certaine perspective du futur.
On a l'impression que le temps n'est pas figé dans vos œuvres, quelle est votre réflexion ?
Je n’ai pas une vision progressive du temps parce ce n'est pas quelque chose de progressif. Je considère que le temps, est un ensemble de conditions parallèles dans lesquelles les choses flottent. Nous nageons tous dans ce « bouillon du temps ». Donc évidemment, je ne suis pas quelqu’un qui croit aux montres : je n'en porte pas. En fait, je ne vois pas le temps comme une direction unique.
L'exposition « Arte Povera » est présentée jusqu'au 20 janvier 2025 à la Bourse de Commerce.