« Une fenêtre vers l'invisible » de Bruno Racine

David Hammons
Fermer David Hammons Untitled (Mirror), 2013, Pinault Collection © David Hammons. Installation view, Icônes, 2023, Punta della Dogana, Venezia. Ph. Marco Cappelletti e Filippo Rossi © Palazzo Grassi, Pinault Collection
Article
20.04.23

« Une fenêtre vers l'invisible » de Bruno Racine

Que les œuvres soient lumineuses ou sombres, silencieuses ou sonores, théâtrales ou austères, l’exposition invite le visiteur à faire halte devant chacune d’elles, à porter son regard au-delà de leur matérialité,

Temps de lecture
5 mn
Par Bruno Racine,
Directeur de Palazzo Grassi - Punta della Dogana et commissaire de l'exposition

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Il semble naturel qu’une exposition intitulée « Icônes » se tienne à Venise. Les liens entre la République et Byzance sont connus, et dans la basilique de la Salute, voisine immédiate de la Punta della Dogana, la scénographie baroque semble avoir été conçue tout entière pour exalter une très ancienne icône, minuscule à l’échelle de l’édifice mais vénérée comme miraculeuse. Alors qu’à la Renaissance tout l’Occident faisait le choix de l’image réaliste contre la stylisation de l’icône à laquelle restèrent fidèles l’Orient et la Russie orthodoxe, Venise semble avoir voulu conserver pieusement la trace de cette dernière filiation.

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Si les peintres byzantins dont les icônes scandalisaient les iconoclastes n’avaient nulle intention de heurter qui que ce soit, Cattelan, quant à lui, était parfaitement conscient que La Nona Ora allait déclencher la polémique.

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Maurizio Cattelan
Fermer Maurizio Cattelan, La Nona Ora, 1999, Pinault Collection. Installation view, Icônes, 2023, Punta della Dogana, Venezia. Ph. Marco Cappelletti e Filippo Rossi © Palazzo Grassi, Pinault Collection

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Mais que voit-­on au juste dans l’œuvre de Cattelan, au-­delà ou en dépit de son réalisme mimétique ? Le visage du pape, curieusement, n’est pas comme l’on pourrait s’y attendre déformé par la douleur, alors que celle-­ci devrait être insupportable. Son expres­sion est grave, elle semble essentiellement recueillie, peut­-être surprise devant un accident statistiquement improbable ; et son corps, au lieu d’être réduit en charpie par le choc d’une pierre de cette dimension lancée à toute allure dans l’espace, demeure intègre. De plus, Jean­Paul II, fermement agrippé à la croix, semble faire effort pour se relever. Il est difficile de ne pas penser ici aux scènes de supplice, si souvent représentées dans les églises ita­liennes, où les martyrs, indifférents à la souffrance, sortent indemnes des flammes ou de l’huile bouillante et défient les efforts répétés de leurs bourreaux. 

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Même si l’éclat des polémiques s’est assourdi, La Nona Ora demeure ainsi, en 2023 comme en 1999, ce que l’artiste a voulu : une œuvre qui dérange, voire qui choque à première vue, mais qui, selon sa propre expression et en référence à la Passion du Christ, constitue « un travail spirituel qui parle de la souffrance ».

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Roman Opalka
Fermer Roman Opałka, OPALKA 1965 / 1 - ∞, Pinault Collection, © Roman Opalka, by SIAE 2023. Installation view, Icônes, 2023, Punta della Dogana, Venezia. Ph. Matteo De Fina © Palazzo Grassi, Pinault Collection

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Le défi auquel est confrontée toute exposition thématique est de rendre intelligibles ou sensibles les raisons qui ont présidé au choix des œuvres et des artistes. « Icônes » n’y échappe pas et propose une gamme d’expériences qui vont de la contempla­tion des œuvres ultimes de Robert Ryman, d’un dépouillement absolu, rassemblées comme celles de Roman Opałka dans une sorte de sanctuaire, au choc visuel et sonore des vidéos d’Arthur Jafa. 

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Danh Vo
Fermer Danh Vo (from left to right), Sanyo, 2010; untitled, 2021, Pinault Collection, Courtesy of the artist. Installation view, Icônes, 2023, Punta della Dogana, Venezia. Ph. Marco Cappelletti e Filippo Rossi © Palazzo Grassi, Pinault Collection

Et à quoi nous convie Danh Vo lorsqu’il nous montre la bannière étoilée ? Nous sommes loin de l’image de la superpuissance idolâtrée que tous cherchent à imiter, même lorsqu’ils font profession de haine à son égard : le drapeau, déchiré, pend miséra­blement comme un torchon, il évoque la défaite des États­Unis au Vietnam et l’odyssée de la famille de l’artiste parmi des centaines de milliers de boat ­people. Devenu ainsi un symbole de la vanité des grandeurs humaines, il laisse entrevoir, à travers la déchirure, une Vierge à l’Enfant. Comme les autres artistes présentés, Danh Vo nous invite à porter notre regard au-­delà, à reconnaître l’icône sous la variété des espèces. À nous de consentir l’effort requis pour ne pas être de ceux « qui ont des yeux et ne voient point ».

Bruno Racine
Extraits du catalogue de l'exposition « Icônes »

À lire, à voir, à écouter