Prix Pierre Daix 2017
Le Prix Pierre Daix 2017 a été attribué à l’ouvrage « Ce que le sida m’a fait – Art et activisme à la fin du XXe siècle » d’Elisabeth Lebovici, paru en 2017 aux éditions JRP|Ringier, en coédition avec la maison rouge – Fondation Antoine de Galbert.
Le lauréat par Laurence Bertrand Dorléac Historienne d’art, universitaire, membre du jury
Certains livres dérangent, et celui d’Elisabeth Lebovici fait partie de ceux qui empêchent de dormir. Pour parler des formes que le sida fit naître, elle a dû replonger dans sa mémoire habitée de fantômes, ressortir les articles rédigés in vivo, en ressaisir le sens, le combat, la colère.
Elle décrit des œuvres d’art qui naquirent dans la catastrophe mais plus largement les formes, l’esthétique, l’atmosphère d’un monde modifié par la maladie qui touchait de près le milieu des écrivains et des artistes : Hamad Butt, Ron Athey, Mark Morrisroe, Rosa von Praunheim, Zoe Leonard, John Greyson, Félix González-Torres, Catherine Opie, Keith Haring, Lionel Soukaz, David Wojnarowicz, Michel Journiac, General Idea,Vidya Gastaldon, Philippe Thomas, Nan Goldin, Group Material, Alain Buffard. La liste est bien plus longue : il faut lui ajouter toutes celles et ceux d’Aids ou d’Act-Up, et bien au-delà.
En procédant ainsi, en exhumant ses préoccupations d’alors – elle militait pour Act Up-Paris –, elle fait revenir les morts auréolés de leur jeunesse fauchée par un mal que l’on a pris pour la peste. Elle nous rappelle que ces malades furent traités comme des pestiférés, rejetés dans la marginalité, souvent privés de tout accès à des traitements dignes de ce nom et finalement interdits de ce qui fait notre humanité à la fin d’une existence, transformés en objets, obligés par la loi à être incinérés.
Elle le montre partout, le sida implique une crise des représentations. En premier lieu parce que tout ce qui relevait du domaine du privé devenait public et politique. L’épidémie révéla non seulement l’homophobie des populations mais aussi leurs peurs, leurs lâchetés, l’égoïsme contemporain qui n’apprécie guère ce qui va mal, très mal en l’occurrence, la cupidité cynique des laboratoires, les dysfonctionnements de politiques indignes au temps du libéralisme triomphant, en particulier aux États-Unis – « à New York, on prend la vie pour une pathologie » disait un graffiti inspiré de Lewis Munford.
Il y a quelque chose de Georges Perec dans cet ouvrage des temps pestifères. Ce que l’on sent tout particulièrement dans l’inventaire de « mon placard », où les médicaments occupent une place de choix. La liste est mélancolique comme tout le reste, mais d’une mélancolie archi-active. Lesbienne engagée, Elisabeth Lebovici n’a jamais laissé personne s’endormir, il suffit de lire son blog « le beau vice » : elle y est encore plus libre qu’au journal Libération, où elle a longtemps travaillé.
Chaque ligne de son livre sur le manque est comme ces années qui auraient dû s’ajouter à l’âge que ses amis n’auront jamais atteint. Grâce à Elisabeth Lebovici, toute une époque revit, celle des médias électroniques qui fut modifiée par la crise du sida, dont le pic fut en 1993, il y a 25 ans.
« L’objet de ce livre c’est de ne pas faire la différence. »
L’auteur
Historienne et critique d’art, Elisabeth Lebovici articule dans ses recherches, écrits et séminaires, féminisme, études de genre, politiques queer, activisme LGBT et art contemporain. Elle est notamment l’auteure, avec Catherine Gonnard, de Femmes/artistes, artistes/femmes, Paris de 1880 à nos jours (Hazan, Paris 2007) et tient le blog lebeau-vice.blogspot.com. Elle participe au collectif de recherche Travelling Féministe, autour des archives du Centre audiovisuel Simone de Beauvoir et co-dirige, avec Patricia Falguières et Nataša Petrešin-Bachelez, le séminaire Something You Should Know : artistes et producteurs, à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS). Elle est membre fondatrice du fonds de dotation LIG/Lesbiennes d’Intérêt Général.
Le jury
Pour l’édition 2017, le jury était composé de :
Jean-Jacques Aillagon Ancien ministre de la Culture, directeur général de Pinault Collection
Laurence Bertrand Dorleac Historienne d’art, éditrice, universitaire, directrice du Laboratoire Arts et société à Sciences-Po
Jean-Marie Borzeix Ancien directeur de France Culture
Jean de Loisy Président du Palais de Tokyo
Emmanuel Guigon Directeur du Musée Picasso de Barcelone
Brigitte Leal Directrice adjointe du Musée national d’art moderne – Centre Pompidou
Laurent Le Bon Président du Musée national Picasso-Paris
Alain Minc Président de AM Conseil, essayiste
Alfred Pacquement Ancien directeur du Musée national d’art moderne – Centre Pompidou
Marie-Karine Schaub Historienne et universitaire (université Paris-Est Créteil-Val de Marne)